Le regarde de l'invitéDans quel état d’esprit étiez-vous avant votre Rendez-vous en terre inconnue ?
Je suis parvenue à ne pas me projeter. A n’être ni dans l’appréhension, ni dans la paranoïa. L’excitation était là mais elle ne portait pas tant sur l’expérience en elle-même que sur l’idée d’aller vers l’inconnu. Quand je ne sais pas, j’ai plutôt envie de dire oui. Au moins pour savoir, découvrir, se découvrir aussi. J’aime l’idée d’être projetée dans un milieu car confrontée à une rencontre, à un environnement, on peut en découvrir davantage sur soi. Y compris des choses désagréables, d’ailleurs.
Comme ?
… la trop haute opinion que j’avais de ma capacité d’adaptation ! La difficulté à me défaire du quotidien. Comme le besoin, parfois, d’être seule. Mais aussi le fait de se laver ou d’aller aux toilettes avec plusieurs couches de vêtements. Et, histoire de ne pas montrer mon anatomie d’emblée à tout le monde, de trouver un moment pour sortir de la tente, par moins 20 degrés, et voir les rennes débarquer…
On vous sent inquiète à l’annonce de la destination…
Il faut savoir que j’ai un vrai problème de « frigorification ». Quand tout le monde crève de chaud et est à moitié nu, j’ai un bonnet sur la tête ! Le froid gèle tout, le corps évidemment, mais aussi l’esprit. Je me transforme en stalagmite incapable d’agir et de penser. Quand, dans l’avion, Frédéric prononce le mot « Tsaatan », je pense d’abord au Mexique. Puis, j’entends des mots comme « Mongolie », « frontière sibérienne »… J’ai alors une pensée pour Marianne James partie en Indonésie. Pourquoi moi ? Mais très vite, l’excitation a repris le dessus. Au moins, j’irai au bout du défi ! Complètement. Car quand j’ai découvert la « urts », j’ai compris qu’on allait devoir composer sans cesse avec les températures…
Vous avez quand même fini par dormir à la belle étoile dans la forêt enneigée !
Quand je l’ai appris, je me suis dit « ces gens sont fous ! ». Au final, cette nuit à la belle étoile, entre feu et neige, entourés des rennes, reste l’un de mes plus beaux souvenirs. Une plongée dans l’imaginaire de mon enfance. Le père Noël qui croise un chamane… Loin de tout, au coeur de la Taïga, j’avais 10 ans et demi ! Tous ces instants ont rendu le voyage féerique. Comme lorsque
nous nous sommes retrouvés au pied de l’arbre sacré, cet arbre toujours vert, recouvert de petits rubans bleus, symboles des rêves, promesses et prières de chacun. La beauté et la magie de ces moments font, bien heureusement, que nous ne sommes pas toujours en prise avec notre petit confort et les températures ambiantes.
Quel souvenir gardez-vous de votre première rencontre avec Ganbat ?
Cette rencontre filmée est déroutante au départ. J’avais peur de ne pas être tout à fait moi-même. Mais tout est devenu simple, dès que j’ai vu Ganbat arriver à dos de renne. A sa manière de se tenir – dans une position très cool – on aurait dit qu’il allait faire du reggae dans la seconde ! Le charme a été immédiat. En plus d’avoir les yeux de Jamel Debbouze, Ganbat avait cette décence du rire. Il a d’emblée su rire de notre timidité mutuelle. J’adore quand le rire devient une forme de pudeur.
La communication avec Ganbat et sa famille s’est-elle établie facilement ?
Je suis tombée très amoureuse du petit garçon, Gigit. De sa beauté, son côté « p’tit homme », de son indépendance. Mais le coup de foudre n’a pas été réciproque ! Moi qui ai un bon contact avec les enfants, ou du moins qui parviens facilement à être en totale régression, mes grimaces n’ont eu aucun effet ! Mais à un moment, une curiosité est née de son côté. Et l’échange a été possible. Avec un enfant, tout est de l’ordre du ressenti. Il n’y a pas de triche possible. Dans un univers inconnu, si différent, on cherche toujours un premier lien. Gigit a sans doute été le premier lien, celui qui a rendu tous les autres possibles.
Parlez-nous de ces liens justement…
Allait-on trouver un équilibre dans nos échanges ? Quels allaient-ils être ? L’artisanat ? Non. Le renne ? Je ne suis pas une dingue d’animaux… Ce qui fait qu’on ne tourne pas en rond, ce sont finalement les personnes en elles-mêmes. Et leur manière, tout d’un coup, de s’ouvrir, se raconter. J’ai été subjuguée par cette idée, magnifique, que dans une région truffée de mines d’or, un peuple minuscule puisse prendre le dessus sur ce qui gouverne le monde, tenir droit, debout, dans ce qui a enseveli le monde, avec, en prime, une possibilité de choix. En ce qui concerne leur vie plus intime, nous nous sommes vite aperçu que Ganbat et sa femme, dans un fonctionnement pragmatique, n’avaient pas l’habitude de nommer les sentiments. En les questionnant sur leur amour, leur rencontre, peut-être pouvions-nous, à notre tour, leur apporter quelque chose, les aider à remonter le fil de leurs émotions
et de leurs souvenirs.
Vous sentez-vous « changée » par cette aventure ?
Cette aventure existe en moi. Très fortement. Mais je ne parlerai pas de changement. Car je crois davantage au fait que nous sommes constitués des choses, des images et des rencontres que nous vivons… Moi qui cache beaucoup mes émotions — d’autant plus devant une caméra — je me suis laissée submerger par les émotions au moment du départ. Cette aventure m’a touchée. Il faut dire que l’idée de ne pas se revoir est romantique. C’est comme une histoire d’amour inachevée sur laquelle on pourrait fantasmer éternellement. Tous ces souvenirs, ces émotions, ces échanges, on les trimballe toute sa vie.
Finalement, vous êtes-vous vantée de vos exploits à dos de renne ?
La transhumance ! Evidemment ! Huit heures à dos de renne, ce n’est pas rien ! Bon, je me suis rarement décrite en héroïne, c’est vrai… La transhumance. Le mot même me fait rire. Tu fais quoi aujourd’hui ? Oh, trois fois rien, une petite « transhu ». J’avais envie de dire « transhu » comme on dit « réu ». C’est un mot que j’utilise pas mal aujourd’hui !
On vous voit très gourmande dans le film. Etes-vous parvenue à reproduire la fameuse recette du pain ?
Oui, mais c’était complètement raté. Sans doute, un problème de casserole.
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